Revue de littérature comparée - N°1/2009

Littérature comparée et politique

Revue de littérature comparée - N°1/2009

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Présentation

Philippe Zard - Raison historique, apocalypse et roman familial dans Quatrevingt-treize (Hugo) et Le Siècle des lumières (Carpentier).
Deux romanciers de gauche, prenant pour sujet la Révolution française à l'heure où se fait entendre l'écho d'autres révolutions (Commune, révolution cubaine), présentent une image problématique du sens de l'Histoire. Le paradigme progressiste est en crise : en dépit de son dessein apologétique, Hugo fait surtout saillir les contradictions du processus historique (la violence n'est justifiée que rétroactivement) ; Carpentier soumet à la critique aussi bien l'idéologie révolutionnaire que ses reniements. Les romans expérimentent deux autres modèles d'intelligibilité historique : celui de la catastrophe – faisant de la rupture révolutionnaire un processus historique pour ainsi dire sans sujet –, expression d'un bouleversement aussi inévitable qu'angoissant ; le modèle généalogique enfin, par lequel Hugo répare imaginairement les fractures de l'histoire en reliant passé et présent, Ancien et Nouveau Régime, tandis que Carpentier met en évidence l'irréductible pluralité des cultures et les apories du rêve « fraternitaire ».

Frédérique Leichter-Flack - Laissés pour compte et hommes au rebut en démocratie : Kafka et Melvil
Que faire des laissés-pour-compte en démocratie ? Relus ensemble, deux textes bien connus – Bartleby le scribe de Melville et « le Soutier », premier chapitre du premier roman de Kafka, Amerika ou le Disparu -, donnent à voir comment la littérature se charge de cette question. Chacun de ces deux textes orchestre un scénario d'exclusion sociale : un homme tombe à la mer, s'y maintient à la surface tout le temps qu'un autre lui tend la main, puis s'y noie, quand la main secourable lui est retirée. Or, dans les deux cas, ce qui aurait pu constituer un incident négligeable – ou du moins, un fait social inaperçu - est traité par la littérature comme une scène de la plus haute importance. Sur fond d'un scénario d'exclusion kafkaïen, la superposition de ces deux scènes politiques américaines produit des effets de sens qui articulent de façon exemplaire l'enjeu éthique et l'enjeu politique. En modulant le problème sociopolitique en question éthique (via le rapport de face à face), la littérature se sera efforcée de remettre dans le jeu ces hommes au rebut. Mais son échec signifie aussi que la démarche éthique ne saurait se substituer à la solution introuvable du problème politique.

Maria Delaperrière - L'irrésistible fascination du pouvoir : Jarry, Brecht, Camus, Gombrowicz.
Prenant comme point de départ la figure emblématique du tyran dans les pièces de Jarry ( Ubu roi), de Brecht (La Résistible ascension d'Arturo Ui), de Camus (Caligula) et enfin de Gombrowicz ( Le Mariage), l'auteur se propose de mettre en évidence différents aspects du mécanisme de la prise du pouvoir, tels que les révèle la fiction littéraire. Il est question en particulier des rapports de force que la nature humaine rend inévitables ainsi que des relations interhumaines qui en découlent. Ces rapports de force échappent généralement à tout contrôle rationnel et semblent être soumis à une puissance invisible et absurde. Par une analyse détaillée de ces oeuvres et par leur confrontation avec le modèle shakespearien, l'auteur fait apparaître des différences notables qui, face aux dictatures totalitaires du XXe siècle, contribuent à faire de chacune de ces pièces un témoignage singulier.

Anna Fiałkiewicz-Saignes - Que reste-t-il de l'anti-utopie ? Tadeusz Konwicki, Michel Houellebecq et Tatiana Tolstoï.
Quelles raisons y aurait-il de lire ensemble La petite apocalypse du polonais T. Konwicki (1979), Les particules élémentaires du français Michel Houellebecq (1998), et Le slynx de Tatiana Tolstoï (2000) ? Ces trois fictions ont rencontré un vif succès, et ont été qualifiées, dans la critique journalistique aussi bien qu'universitaire, d'anti-utopies. Si l'anti-utopie est une fiction dénonçant les enchantements fallacieux de la cité idéale, l'on est en droit de s'interroger sur la vitalité du genre dans des contextes historiques où la « fin des utopies » a été largement proclamée. S'agit-il de jouer avec un fonds de poncifs littéraires ? De proclamer le triomphe absolu du modèle libéral ? La discours de l'anti-utopie « post-totalitaire » est plus complexe : la convocation d'un ensemble de motifs, situations, scénarios et configurations, caractéristiques d'un certain imaginaire socio-politique propre au XXe siècle, y permet de faire écho aux interrogations politiques majeures de notre temps.

Florence Goyet - Le Nibelungenlied, épopée inachevée
Cet article prend place dans le cadre général d'une réflexion sur l'épopée comme outil intellectuel, qui permet de penser une crise sociale et politique profonde. Le Nibelungenlied, à la différence d'autres textes (Iliade, Roland, Hôgen et Heiji monogatari) peut être qualifié d'épopée "inachevée", parce que le travail épique ne débouche pas: la réflexion politique par les moyens de la littérature ne permet pas d'inventer les nouvelles valeurs qui pourront réunir la société. On donne ici les premiers résultats d'un travail en cours. La figure contradictoire de Sigfrid, à la fois héros légendaire et amant courtois parfait, permet de poser le problème des rapports entre pouvoir central et vassaux ambitieux. Mais elle ne permet pas de le résoudre.

Alexandre Prstojevic - Le sens de la forme. La Shoah, le roman et le « partage du sensible » :Rawicz, Kis, Perec.
Dans notre article, nous abordons la question de la littérature de la Shoah et de sa place dans la culture Occidentale. Nous constatons qu'au fil des ans, elle a fini par occuper une place importante dans l'espace littéraire contemporain et analysons des raisons de ce phénomène. À partir de nombreux exemples, notamment des œuvres de Piotr Rawicz, Danilo Kis et Georges Perec, nous soutenons que certains auteurs – qu'ils soient témoins oculaires ou non – ont su faire leur l'esthétique de la modernité littéraire et que cela leur a permis de construire un dialogue avec la littérature de leur temps, dialogue qui a fini par affecter la bibliothèque de la Shoah mais aussi l'espace intellectuel dont celle-ci fait désormais partie intégrante.
Notre thèse pourrait être formulée de la façon suivante : en l'espace d'un demi-siècle, l'écriture de la Shoah a muté d'une forme testimoniale « brute », spécifique et socialement confinée, à une écriture régie par une poétique issue de la modernité. Ce faisant, elle a remarquablement soutenu l'évolution du roman contemporain et contribué à affiner notre réflexion sur l'art et l'Histoire. À travers une pensée de la forme, elle a pris une place éminente dans notre gestion du « partage du sensible ».

Sebastian Veg - La démocratie, un objet d'étude pour la recherche littéraire ?
À l'heure où la réflexion sur les rapports entre littérature et politique se renouvelle, cet article tente de dresser un bilan sur la question de la démocratie. Si Jacques Rancière la définit comme le moment historique où apparaît la « littérature », qui se caractérise par la conjonction paradoxale de la disparition de la hiérarchie des sujets et l'absolutisation concomitante du style, Nelly Wolf lie la démocratie au roman et au contrat particulier qu'il propose au lecteur. À travers l'étude de trois œuvres, cet article tente d'ouvrir d'autres pistes : La Bonne Âme du Setchouan de Brecht est l'occasion de montrer comment la littérature peut construire un vide normatif. Le Procès et Le Château de Kafka sont abordées dans la perspective d'une compréhension ouverte de l'histoire. Enfin, « La véridique histoire d'A-Q » de Lu Xun fournit un exemple de mise en abyme de l'espace public. C'est sa dimension pragmatique qui permet ainsi de lier la littérature à la démocratie.

Biographies Contributeurs

Pierre Brunel

Pierre Brunel, membre de l'Institut universitaire de France de 1995 à 2005, est professeur de littérature comparée à l'université de Paris Sorbonne (Paris IV) depuis 1970. Il a orienté une partie de ses recherches sur l'étude des genres littéraires et en particulier sur le roman. Il y applique librement les méthodes de la littérature comparée, et en particulier celles qu'il a essayé de suggérer pour une mythocritique comparatiste.

Daniel-Henri Pageaux

Docteur d'Etat ès lettres (Université de Paris III-Sorbonne nouvelle, 1975). Hispaniste de formation, puis comparatiste (Université de Rennes, 1965-1975). Professeur de littérature générale et comparée à l'Université de Paris III-Sorbonne nouvelle. Membre du Comité Lesage au sein du CRLC (Centre de recherche en littérature comparée, Université de Paris-Sorbonne). Co-directeur de la "Revue de littérature comparée" et membre du comité de rédaction de diverses revues spécialisées (Thélème, Letterature di frontiera, Portulan, Mentalités). Romancier sous le pseudonyme Michel Hendrel..

Consulter la table des matières

Anna Fiałkiewicz-Saignes ♦ Présentation
Florence Goyet ♦ Le Nibelungenlied, épopée inachevée
Philippe Zard ♦ Raison historique, apocalypse et roman familial dans Quatre-vingt-treize (Hugo) et Le Siècle des lumières (Carpentier)
Frédérique Leichter-Flack ♦ Laissés-pour-compte et hommes au rebut en démocratie : Kafka et Melville
Maria Delaperrière ♦ L'irrésistible fascination du pouvoir
Anna Fiałkiewicz-Saignes ♦ Que reste-t-il de l'anti-utopie ? Sur La Petite apocalypse (T. Konwicki), Les Particules élémentaires (M. Houellebecq) et Le Slynx (T. Tolstoï)
Alexandre Prstojevic ♦ Le sens de la forme. La Shoah, le roman et le « partage du sensible »
Sebastian Veg ♦ La démocratie, un objet d'étude pour la recherche littéraire ?